De la question résolue de la virgule

Chacun a pu observer très aisément que le placement de la virgule dans une phrase suffit à en modifier la dynamique. Observons cela. Précisons d’entrée que nous tâcherons, autant que faire se peut, de virguler correctement notre texte afin de proposer les bons exemples de la démonstration.



La question n’est pas ici de savoir où placer la virgule, mais de savoir s’il faut la placer, pour quel effet à donner à la lecture. Il est loin le temps où l’on considérait que la virgule encadrait des éléments grammaticaux non indispensables à la compréhension. La règle générale consistant à prêter à la virgule le rôle de marquer une pause, pour n’être pas obsolète (et même fondamentalement exacte), n’en est pas moins insuffisante.



L’objet de cet article n’est pas de revenir et d’expliquer tous les cas où l’on admet généralement des virgules, notamment parce que le Grévisse ne fournit pas de règles précises, laissant entendre que les grands canoniques ont bien souvent agi à leur guise, généralement la meilleure des raisons. L’article sur Wikipedia est nul et ne dit rien. Cherchons ailleurs, cherchons là : http://www.synapse-fr.com/manuels/U_VIRG.htm



Quelques règles d’usage toutefois.

• La virgule marque une pause au sein de la phrase. Pause sonore et pause de l’idée.
  
• L’incise. On met une virgule, vous préciserais-je, entre deux groupes lexicaux non directement liés.
  
• En cas de juxtaposition. On met une virgule, on écrit ses mots, on en place une nouvelle puis on finit la phrase.
  
• En cas d’énumération, on peut supprimer la virgule quand le dernier terme représente tous les autres. « Toutes les filles, toutes les mères, toutes les copines, toutes les vieilles, toutes les salopes, toutes les femmes sont en réalité les mêmes prédatrices. » La règle est d’importance, car je ne la connaissais pas et suppose également que mon lecteur ne la sût pas non plus.
  

Inutile de répéter ce que l’article fait.

Venons-en à l’usage tactique de la virgule, ce qui fait tout l’intérêt de cet article. On aura remarqué que la littérature moderne utilise avec abondance la virgule. C’est une tendance de l’écriture moderne. Non seulement, les écrivains ne connaissent plus les règles quasi élémentaires de la typographie (d’où le recours à des correcteurs d’orthographe et des correcteurs humains), mais en plus, ils commettent ce crime de vouloir donner du rythme à leur page en glissant les mots entre les barrières incessantes de la virgule. C’est-à-dire que le texte lui-même n’a plus en charge de donner le rythme, celui-ci est abandonné aux petits artifices encombrés de la virgule, qui répond pourtant à des règles précises… ou vagues, tout dépend du point de vue.



Il y a enfin un rôle, LE rôle de la virgule que nous n’avons pas vu, c’est sa fonction explicative ou déterminative dans l’écriture d’une phrase emmêlée de plusieurs subordonnées. La virgule a donc la charge de dire si la subordonnée est explicative ou déterminative à la principale. La plupart des écrivains n’en ont pas conscience et chargent les virgules à tout bout de texte, oubliant cette règle pourtant aussi élémentaire, qu’elle n’est pas précisée dans le Grévisse.



Le placement d’une virgule peut donner de la force au texte, comme dans la phrase ci-dessus :

« cette règle pourtant aussi élémentaire, qu’elle n’y est pas précisée ». Ici, la fonction ne peut pas être explicative, parce que le fait qu’elle soit élémentaire n’explique pas du tout qu’elle ne soit pas précisée ; ni déterminative, parce que le fait de ne pas la mettre n’a rien à voir avec son caractère d’évidence. La virgule est mise ici pour renforcer l’impact de ce tort, qui remplace l’erreur de ne pas savoir. Voilà comment procèdent les « auteurs » la majorité du temps : ils placent leur virgule d’instinct, pour détacher les mots les uns des autres et leur assurer une plus grande force, en abandonnant la fonction déterministe de la virgule. Reconnaissez dans cette dernière phrase, que le sens eût complètement été chamboulé si je n’en eusse point placé.



Il s’agit ici, en littérature, d’une pure question logique d’ensembles et de sous-ensembles. Et c’est faire une erreur que de prendre des bouts d’ensembles vastes, plutôt que l’intégralité d’ensembles plus réduits. Tentons un exemple pour bien comprendre de quoi il retourne.

« Tentons un exemple pour bien comprendre de quoi il retourne » : déterminisme de l’exemple qui a un but : celui de comprendre. L’exemple est là pour ne rien faire d’autre que chercher à comprendre. On note, qu’ici, les rapports sont interchangés avec la préposition « pour ».

« Tentons un exemple, pour bien comprendre de quoi il retourne » : rôle explicatif de la virgule : on tente un exemple d’un côté au sein du sous-ensemble de notre volonté de comprendre. En fin de compte, on se fiche de savoir si l’on va vraiment comprendre de quoi il retourne.











En fin de compte, toute la question est de savoir si on exprime un fait de guerre ou de santé publique ou un propos nietzschéen. La question reste toujours ouverte (virgule ou pas virgule ?) dans le cas d’un mauvais usage et le lecteur doit refaire un travail de lecture pour comprendre effectivement ces règles d’inclusion ou d’exclusion. Réponse, bien sûr que non, pas de virgule. Il faut assumer son propos et conserver les règles déterministes entre chacune de ses propositions.



Dans le cas des hommes qui meurent, le problème est rendu d’autant plus complexe par l’opposition entre l’homme en tant que concept et la mort en tant que fatalité ou fait à venir. Quand le propos est clair, il n’y a aucune raison de faire des coupures au sein de la phrase quand les idées s’encastrent les unes sur les autres. Je pense clairement que l’excès et la surabondance de la virgule traduisent chez un auteur, une certaine incapacité à reconnaître son texte.



Venons-en à la conclusion de notre article. On a vu à deux reprises que le sens des idées pouvait échapper aux règles sur les sous-ensembles et les règles d’inclusion. Tant les hommes qui vont mourir que les règles élémentaires qui ne sont pas précisées (virgule ou pas virgule) restent à l’appréciation virgulatoire de son auteur ; et nous sommes trop peu renseignés sur ces habiletés en la matière pour lui en faire confiance. Pourquoi une virgule ? Il s’agit de coller un sujet à un verbe et le deuxième « que » vaut comme « et ».



Où nous allons voir, qu’en réalité, la pratique du bon langage est finalement décidée par le style dans lequel l’auteur officie. Si l’on coupe la littérature en trois, nous avons les essais, les romans et la poésie. Chacun de ces styles ayant des règles précises à l’énonciation, et bouleversant, de ce fait, l’usage de la grammaire et des signes usagés. Le théâtre est à part, car il est fait pour être déclamé et sort donc du sens giratoire de nos lectures.

• L’essai présente des idées qui doivent être amenées au plus près de leur vérité ; il faut donc coller à l’esprit du texte en saisissant la vérité que portent les mots. Il est donc indispensable de savoir si toute relative est déterministe ou explicative. La virgule, ici, doit suivre les règles de la vérité typologique.
  
• Le roman est une sorte de course au chapitre, dans lequel (à l’inverse de la poésie ou de l’essai) la lecture est la plus rapide possible. On se hâte d’aller lire la fin, on est absorbé par les lignes qui défilent… et ces lignes n’ont aucune autre mission que de faire lire le plus vite possible dans un mécanisme fixe d’effets de soulignement. Les virgules sont insérées pour faire lire le plus vite possible… et rien d’autre. Peu importe le sens ; en matière de littérature, de descriptions physique ou sentimentale, l’exactitude n’est pas le point du roman puisque l’exactitude n’est pas le point de la fiction. La virgule, ici, doit suivre les règles de l’auteur et courir au plus vite pour parer au plus pressé.
  
• La poésie cherche à procurer des sensations de lecture, indépendantes des exigences de vérité et des blockhaus de la page. Les règles ne sont donc pas les mêmes. L’écriture poétique est un filet de voie qui passe entre deux âmes, mise en suspens de l’impression. L’obscurité doit rester naviguer et les virgules (laissées à l’appréciation de l’auteur) deviennent peau de chagrin, pour que la lecture, seule, fasse le travail des associations que les mots lui évoquent. C’est pour cela que les règles typographiques disparaissent en poésie, pour laisser l’interprétation surgir au milieu des mots minimalistes. La poésie peut donc largement abandonner la virgule qui borne les mots, au lieu de les laisser envahir toute la page, encore vierges des sigles maculés du pompeux.
  

succulents exemples! merci!

visuellement la virgule est comme un coup de griffe
si on en abuse, elle finit par labourer la lecture

Oui... en poésie... Comme nous venons de le voir.

Mais un texte savamment virgulé et ponctué (comme un art poétique par exemple) est exquisément savoureux.

Pourquoi ? Parce que le lecteur profite de la dimension poétique, comme en roulant sur des rails qui l'emmènent sans qu'il sache où.
Alors il se fait transporter à un quelque part dont il sait qu'il existe. Car, souvent, en poésie (horreur de ces hachures!), on ne feint pas de ne pas savoir où l'on va sans savoir si même l'auteur le sait.

Les poésies classiques (et courtes) ne suffisent pas à voir l'effet progressif d'une belle ponctuation.
Voyons ce qui est, pour moi, mon canon : l'art poétique de Boileau.
Je le poste de suite.

ah! Boileau, l'une des stars de mon grand-père..."Ce qui ce conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément" ou quelque chose comme ça